Portrait

Enfance à Port-Louis

Le portrait de Pierrot

Je suis né le 21 août 1948 à Port-Louis, chez la sage-femme de la rue de le Marine. À l’époque, beaucoup naissaient à la même adresse. Sur le boulevard, beaucoup plus tard, une vieille dame m’a dit un jour : tu sais, Pierrot, je te connais bien, c’est moi qui t’ai accouché !

On habitait à Locmalo. C’était tout petit et ma mère me disait : allez, vas jouer chez les Picot. Les Picot, c’était une grande famille des chantiers de construction navale de Locmalo. Il y avait Lenormand, Picot et Le Floch, je crois.

Mon grand-père était marin-pêcheur, il venait vendre son poisson à la Criée. Mon père, lui, était coiffeur. Coiffeur à Locmalo, ça ne rapportait pas beaucoup. Alors mes parents sont partis avec mon grand frère à Versailles, et moi je suis resté chez mes grands-parents. Petit, je vivais au rythme de la pêche. Je me voyais déjà marin pêcheur plus tard, j’adorais grimper sur le bateau de mon grand-père. Tous les jours il ramenait la godaille. J’étais nourri à la godaille.

Jeux d’enfants

Mes grand-parents habitaient une toute petite maison de la Petite rue. Y avait pas de jardin, ma mémé me disait : allez, vas jouer sur le boulevard ! Le boulevard, c’était mon jardin à moi. J’y retrouvais tous les gamins du quartier. Une vraie cour de récré sous les tilleuls. On y grimpait, on se cachait dans les feuilles, on jouait aux cow-boys et aux indiens… Je me rappelle d’une fois où on avait ligoté notre copain Dédé à un arbre. Puis les parents nous ont appelés pour manger, et on a oublié Dédé ! On en parle encore aujourd’hui !

J’ai été à l’école St-Pierre. Je me rappelle du verre de lait de Mendès-France à la récré de 4 heures.

A la fin de l’année, tous les ans, on faisait un petit spectacle. L’instituteur, Joseph Collette, m’avait repéré : toi qui fais tout le temps le clown au fond de la classe, tu vas nous organiser ça. En fin d’année, les grands faisaient des vraies pièces de théâtre, les vendredis, samedi et dimanche. Moi j’y allais tous les soirs, les yeux et les oreilles écarquillés. J’adorais ça !

J’avais 7, 8 ans, et mon copain Jean-Yves Costavec jouait du piano. Ça me scotchait. Comment tu fais ? Eh ben, j’apprends. T’as qu’a venir avec moi. Le jeudi suivant, je vais à l’école Ste-Anne avec lui. Il commence à faire ses gammes sur le piano. Mais moi, on m’interdit d’y toucher, au piano, avant d’avoir appris le solfège ! Et à la fin du mois, la bonne sœur me donne une enveloppe pour ma grand-mère. Quand elle l’ouvre, elle me colle une de ces engueulades ! Et elle m’interdit formellement d’y retourner.

Sur le coup, j’ai cru que c’est parce qu’elle n’aimait pas cette bonne sœur. Pourtant elle les aimait, les bonnes sœurs. Elle partageait la godaille, une part pour Mme Rio, une part pour Joseph mon instituteur, une part pour le curé et une part pour les bonnes sœurs. C’est moi qui allais leur apporter tout ça. Nous, on mangeait ce qui restait. Je ne comprenais pas, mais bon, j’ai dit à mon copain que Mémé ne voulait pas que j’apprenne le piano. J’ai compris par la suite que c’était à cause de la facture. La musique, c’était pour ceux qui avaient les moyens. Mais ça, ma grand-mère, elle ne me l’a jamais dit.

A cette époque, j’étais enfant de choeur pour lui faire plaisir. Et un soir de messe, j’étais thuriféraire, chargé de l’encensoir. Le curé m’avait expliqué. On mettait une pastille noire dedans et on l’allumait. Mais le curé m’avait dit qu’il fallait faire des économies et ne mettre qu’une moitié de pastille. Donc j’en prends une dans la boîte, je l’allume, ça prend, je casse la pastille en deux, j’en mets la moitié dans l’encensoir et l’autre moitié retourne dans la boîte en carton. La cérémonie se passe bien. Mais le lendemain matin, les gendarmes viennent dire à ma grand-mère que j’aurais mis le feu à la sacristie. Ils m’emmènent sur le lieu du sinistre. Le plancher était carbonisé. Tout s’était consumé, le placard, les surplis… Mais il n’y avait pas eu de flammes. J’ai dû expliquer aux gendarmes comment j’avais fait. Ce n’est que longtemps après que j’ai compris ce qui c’était passé. Ma grand-mère a passé des semaines à nettoyer les vêtements sacerdotaux qui étaient récupérables.

Une autre fois, j’avais un petit cousin qui était venu en vacances et qui n’avait jamais vu la mer. Avec mon copain Jean-Yves Costavec, on décide de lui faire une farce. Comme il arrivait de nuit, le lendemain, on lui raconte que la mer, chez nous, elle n’est pas facile à voir. C’est pour ça qu’on a construit des remparts, pour empêcher les gens de voir la mer. On l’emmène par les pâtis jusqu’au rempart après la grande plage, et on lui dit : nous on connait un truc pour voir la mer quand même. On l’emmène à une meurtrière et on lui dit de regarder. On a 9 ans, on n’est pas bien grands. Il se dresse sur la pointe des pieds. Quand il voit de l’autre côté, il n’en revient pas. Mais c’est très très grand ! On le fait regarder par plusieurs meurtrières, et on arrive à la Citadelle. A l’époque, il y avait une porte effondrée, à moitié bouchée par du sable. On lui dit : si tu veux, on connaît un passage pour voir la mer toute entière, mais il faut passer par un vieux tunnel. Et on le fait passer par cet endroit, le plus compliqué possible. Et c’est comme ça finalement qu’il voit la mer pour la première fois.

Versailles

Mon père, ma mère et mon frère habitaient Versailles, où une petite sœur était née. Quand j’ai 10 ans, ils me font venir vivre avec eux. Mon père avait laissé tomber la coiffure. Il travaillait avec un cousin qui avait monté une poissonnerie. On était toujours aussi petitement logés, pas loin du château, mais dans des mansardes. Ma mère me mettait dehors en me disant : vas donc jouer au château ! Pour moi, c’était incroyable, après Port-Louis, de jouer dans les jardins de Versailles. Le jeudi, quand des copains m’invitaient, je découvrais des appartements immenses, un luxe incroyable, avec des jouets partout.

Et puis très vite, il y a eu un clash, mes parents ont divorcé. Ma mère est partie avec mon frère et ma sœur, et moi, on m’a renvoyé à Port-Louis avec Pépé et Mémé. Retour à la case départ jusqu’à mes 13 ans. Là, on commence à me demander ce que je voudrai faire plus tard. Je réponds : ben, pêcheur ! Comme Pépé, quoi ! J’irai à l’école d’Etel. Pour moi, c’était tout tracé. J’avais des copains qui allaient plutôt au séminaire à Auray. Moi c’était pêcheur. Et quand ma mère l’a appris, elle a dit ah non, pas question ! Trop dangereux, trop dur. On m’a remis dans le train.

Le Bourget

Ma mère et son nouveau compagnon habitaient maintenant au Bourget. On me met dans une nouvelle école, laïque celle-là. Je ne comprenais plus rien. Au bout de 3, 4 mois, ma mère annonce qu’on va déménager encore, à Epinay sur Seine. On se retrouve dans une grande barre HLM. Un autre monde, une cité, des tours, un appartement avec des chambres, salles de bain, tout est tout neuf. Et là, plein de camarades, beaucoup de réfugiés de partout, surtout asiatiques. J’avais jamais vécu ça ! Je n’avais connu qu’un seul copain vietnamien, à Port-Louis, qui était passionné de nature et qui m’emmenait au jardin de la Muse voir les oisillons dans les nids.

Épinaysur-Seine

On me met dans une nouvelle école et là, je tombe sur un instituteur incroyable qui nous raconte des histoires fabuleuses et qui adore le théâtre et le cinéma. Un jour, il nous dit : sortez, faut que vous voyiez ça ! On sort sur le trottoir et on voit passer une calèche avec des chevaux, des musiciens… C’était un enterrement. Il nous expliquait que c’était l’enterrement du père Fratellini, il nous donnait le nom des gens, Annie Fratellini, Zavatta, le clown Grock…

En plus l’école était à côté des studios de films d’Epinay, et quand il y avait un tournage, il nous emmenait voir, Fernandel… Laurent Terzieff… Gino Cervi… Et moi qui étais toujours dans les plus mauvais à l’école, en train de lutter pour ne pas être dernier, me voilà troisième ou premier. Ma mère ne comprenait pas. J’étais devenu bon. Dans le trio de tête. J’ai passé avec succès mon certificat d’études.

Comme Pépé et Mémé étaient arrivés à la retraite, ma mère les avait fait venir pour garder les enfants. Un jour ma grand-mère avise un cinéma qui affiche « Les dix commandements ». Elle veut voir ça. Je l’emmène. Pendant toute la séance, elle se fait siffler par les gens derrière elle, parce sur la tête, elle avait toujours sa coiffe, la coiffe de Lorient.

Après je rentre dans une autre école et on me fait remplir un papier pour l’orientation. Je coche artiste, peintre, comédien… Puis je suis convoqué avec ma mère. On me propose de devenir ajusteur. Je ne sais pas ce que ça signifie, ajusteur, c’est peut-être un autre métier artistique. Je demande à ma mère, qui me répond : si la dame a dit qu’ajusteur c’était bien, ça sera bien ! En fait, elle ne savait pas non plus ce que ça voulait dire. Et me voilà pour 3 ans au CET de St-Ouen à apprendre le métier. Et là, je me retrouve le meilleur. Y avait des gens biens à cette époque qui sont aussi devenus ajusteurs, comme Beregovoy, Jean-Louis Etienne…

Les études

Chaque année, les industriels de St-Denis donnaient un prix. Et ils étaient embêtés parce que j’avais 17,666 de moyenne et mon copain Patrick Marian avait la même. Et qu’il n’y avait qu’un prix. Alors ils réunissent tous les élèves et leur demandent pour lequel ils votent : Pierre, ou Patrick ? Ils répondent : pour nous, c’est tout les deux, jamais on ne choisira ! C’est la seule année où il y a eu deux prix. C’est beau,  la camaraderie !

Alors tous les industriels présents me proposent de rentrer chez eux. Et me voilà chez Bliss, fabrique de machine-outils, au smic + 20. J’y ai fait deux ans et demi. J’ai eu plein de camarades, qui me racontaient leur histoire. Il n’y en avait qu’un, celui qui qui peignait les machines terminées, qui ne parlait à personne. Je n’arrêtais pas de le questionner. Un jour, il me dit qu’il n’avait pas toujours fait ça. Avant, il était clown. Clown blanc. Il travaillait avec un Auguste. Il me montre son book. Mais un jour, l’Auguste est parti avec tous les cahiers de sketches. Il s’appelait Zavatta, et toute sa famille était derrière lui ! Moi qui toute mon enfance avais voulu être clown !

En allant boire un coup à la sortie de l’usine, un jour on tombe sur une affiche comme quoi il y a une audition au Théâtre des Puces de St-Ouen. Le samedi j’y vais. On est une trentaine. Et ils commencent par moi : racontez quelque chose qui vous est arrivé. Je bouge, je fais mon cinéma 5 minutes… Au suivant ! Ils en prennent 15, et je suis pris. C’est génial, je m’éclate, tous les soirs et le samedi. Mais dire ça à ma mère, c’est  impossible. J’ai 17 ans. Je me rappelle que dans le CET où j’allais, il y avait des cours du soir de dessin industriel. Je m’y inscris. Et voilà !

Port-Louis

haque fois que j’avais des vacances, je retournais à Port-Louis, faire la fête avec mes copains. Je me rappelle, quand j’avais 17, 18 ans qu’il y avait encore des cabanes d’après guerre. La mairesse de l’époque, Yvonne Stephan, avait décidé de les raser. Elle a bien voulu nous en donner une, qu’on a démontée puis remontée au pied des remparts, en dessous de la place saint-Pierre. J’avais emmené avec moi pour les vacances mon copain Patrick Marian. Et un jour on apprend que Georges Brassens va venir chanter pour les Tréteaux de France.  Georges Brassens, nous, on en était dingo. On lui écrit. Et il répond d’accord, je viendrai dans votre cabane ! On organise tout, mais patatras, il tombe malade. La tournée est annulée. Il est remplacé par une tournée de Sylvia Montfort, qui vient jouer Caligula et la P… Respectueuse. En arrivant, elle vient à la cabane nous dire : Georges Brassens m’a demandé de venir le remplacer, si je peux. On était très intimidés. Elle a répondu à nos questions et nous a donné des billets pour la représentation.

Et puis j’ai 20 ans et on m’appelle à l’armée. J’exige la marine. C’est ça ou rien ! Je suis incorporé le 1er mai 1968, et au lieu d’aller sur les barricades avec mes camarades ouvriers, je finis par me retrouver à Brest, sur La Saône, un ravitailleur d’escadre. Mais mon idée, c’est qu’après je retournerai dans la troupe de théâtre, et en attendant, pendant mon temps libre, j’apprends un tas de pièces par cœur.

En 69, avant la quille, l’armée me donne 15 jours de vacances. Je file à Port-Louis. Et là, un copain d’enfance me propose de venir avec lui à Quiberon. Il veut devenir océanographe. Il a obtenu un rendez-vous avec William Herter, le directeur de l’institut d’océanographie. On part en vélo. Arrivés là-bas, manoir et beaux jardins, je lui dis que je l’attends dehors. Et là, il y avait deux Japonais qui essayent de parler avec moi. On avait du mal à se comprendre, mais ils m’invitent à rentrer dans leur petit labo où ils bricolent depuis un mois. Ils me montrent au microscope du plancton. C’était la première fois que j’en voyais. Après on descend à la côte et je leur montre tout ce que je connaissais hyper bien, les petits crabes, les coquillages, les larves, toute sortes de choses, différentes des espèces qu’ils connaissaient dans le Pacifique. Ils étaient très contents, si bien que quand je retrouve mon copain après son rendez-vous, les deux Japonais nous courent après. William Herter me demande ce que je leur ai dit. J’ai un peu peur d’avoir fait des conneries. Mais il me dit : le problème, c’est qu’ils veulent que vous restiez, et que je vous embauche.

Du coup, mon copain est reparti tout seul et je suis resté, en maillot de bain. Il m’a rejoint quelques jours après. C’est comme ça que j’ai commencé ma vie professionnelle avec le petit peuple de la mer.